Directrice artistique, autrice et éditrice.
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Nelson Pernisco “Le commencement et la fin”

Article publié le 2 mai 2016 dans Lechassis 


Pénétrer l’œuvre de Nelson Pernisco revient à découvrir le caractère brut et nomade de sa pratique artistique, qui s’organise autour des notions d’effort, de travail, d’autoproduction.

Résolument inspiré par la ruine, le chantier et leur cohabitation dans la ville, le jeune plasticien donne à voir, à travers « Le commencement et la fin », le caractère frontal de la matière, et l’esthétique plastique de sa dégradation.

Il s’agit d’équilibre entre création et destruction : extraire de matériaux lourds des formes minimales, faire subir au corps autant qu’à la matière, et proposer in fine un autre regard sur nos rebuts urbains et contemporains.

 

Présentée lors de la seconde édition d’ARTAG?N, exposition collective résultant d’une compétition entre écoles d’art, cette pièce est située dans la première salle du parcours d’exposition, qui regroupe des œuvres questionnant notre rapport à l’architecture, à l’espace bâtit.

Ce rapport-là, Nelson le tient du skateboard, qu’il a pratiqué durant dix ans, faisant entrer l’architecture en mouvement, côtoyant l’asphalte et le béton, mais aussi les matériaux de récupérations usés et utilisés pour inventer des modules aux lignes minimalistes. 

Il en a développé entre autres une esthétique brutaliste, synthétisée ici en une structure cubique en fer à béton, érigée sur une pyramide formée de 2300 kg de sable, ciment et graviers, quantité définie par le dosage exact qu’il faudrait mélanger à de l’eau pour créer une forme aux proportions de la cage. 

 

Un poids considérable qui questionne le rapport au corps, incitant l’artiste à redéfinir ses limites lors de chaque montage, qui nécessite environ 400 seaux à remplir et transporter.

En choisissant de travailler avec des matériaux industriels et lourds, Nelson Pernisco met au défi sa résistance physique autant que la matière, que ce soit dans la conception ou le montage.

« J’ai besoin de sentir le poids des matériaux, je considère la sculpture comme un duel. »

Imposante, la cage en métal aux lignes très minimales rappelle l’art cinétique, revisité avec des matériaux de construction qui se revendiquent du réel, du quotidien. Une forme que l’on aurait pu retrouver dans le paysage urbain, dont l’artiste aspire à révéler la beauté plastique. 

 

L’édifice est-il sur le point d’être construit ? Vient-il tout juste de s’écrouler ? Il est à la fois « l’Alpha et l’Omega, le commencement et la fin ». 

Issu de l’Apocalypse selon Saint-Jean, le titre de la pièce évoque le caractère immuable de la ruine, qui nous a précédé tout comme elle nous survivra. Catastrophique pour la vision humaine, elle revêt pourtant une beauté certaine, une esthétique familière propre de l’ordre naturel puisque consommée par le temps.

« Mon travail s’alimente de la destruction, de la forme contrainte, usée, consumée. Ressusciter les objets, ou les accabler d’une seconde mort. J’aspire à montrer le caractère brut de la matière, celle qui a vaincu, qui s’est inscrite dans le paysage qui lui était offert, jusqu’à ce qu’on l’oublie, dévorée par la rouille ».

 

Oxydé, altéré, le fer à béton rouillé évoque une temporalité, témoigne de l’effet de la nature qui reprend ses droits, sans pour autant jamais le réduire à néant. De même, la forme pyramidale fait naturellement écho au sablier, mais aussi à l’idée de la chute, de l’accumulation et du tas.

Autant de notions se réclamant de celle du temps, ici abordée dans sa nature cyclique, et non simplement linéaire. Car nous reconstruisons en permanence sur les vestiges du passé, qui refluent dans le présent. 

Ce va-et-vient entre l’archive et le renouveau, Nelson l’expérimente au quotidien, reconstruisant ses lieux de vie et de travail dans des squats, comme actuellement les Ateliers Wonder, à Saint-Ouen, qui s’inscrivent dans une vraie démarche collective, et dans le désir « de remplir le vide par du mieux ».


ArtEmmanuelle Oddo